Ne rien dire. Rester silencieuse et totalement impassible. Elle n’en revenait tout bonnement pas. Elle se trouvait juste là, devant elle, à lui faire face avec ce qui avait autrefois été sa véhémence et son assurance habituelle. Il y avait d’abord eu l’arrivée soudaine de Laurent, qui avait ébranlé toutes les certitudes de Kate. S’il était en vie, elle devait l’être aussi. Et l’espoir avait commencé à prendre place dans son cœur brisé. Elle s’était à peine remise de son deuil qu’elle devait affronter l’idée qu’Irina pouvait être vivante. C’était beaucoup, peut-être même trop pour une âme déchirée. Et pourtant, ce qui semblait être l’instant d’après, Irina était là. Une Irina sauvage et fougueuse comme elle l’avait connue des siècles plus tôt. Si elle avait été humaine, elle en aurait fait un malaise. Kate décida pourtant d’ignorer l’inquiétude qui germait dans sa poitrine pour se contenter de profiter de la douce présence de sa sœur, nouvellement retrouvée. Enfin, elle était là. Enfin ! Elle s’approcha d’elle et la gratifia d’une étreinte chaude et bienveillante, comme elles en avaient connu tant d’autre auparavant. Etrangement, elle se sentait soulagée. C’était comme un poids en moins sur ses épaules, une sorte de dénouement dans sa gorge. Mais Irina semblait perdue, comme s’il lui manquait des siècles de vie, visiblement amnésique des dernières décennies qu’elles avaient pu passer ensemble. C’était fâcheux. Inquiétant même dans un sens. Pour Kate tout du moins. Mais là encore, il valait mieux ne pas s’attarder sur le sujet. Laurent tournant autour de sa sœur l’agaçait quelque peu et elle était à deux doigts de le transformer en poulet rôti.

Elle fini par abandonner la douceur de sa sœur pour aller s’asseoir dans un fauteuil, las. Du coin de l’œil, elle observe Garrett, visiblement aussi interloqué qu’elle et dans un sens, cela la rassure. Elle n’était pas en train de faire un horrible cauchemar. L’instant d’après il est derrière elle, une main sur son épaule. Etrangement, ce simple geste l’apaise, comme toujours. Garrett n’avait peut-être pas de pouvoirs à proprement parler, mais il avait le don de la rassurer de par sa simple présence.

Alors elle les observe tous interagir les uns avec les autres. Ils parlent du passé, du futur, de tout à la fois sans que Kate ne parvienne à saisir l’intégralité des propos qu’ils tiennent. Elle est encore ailleurs, l’esprit embrumé par cette retrouvaille si subite et totalement inattendue. Bon sang, Irina était là, juste devant ses yeux ! Pendant des heures et des heures elle avait songé aux derniers mots qu’elle aurait aimé lui adresser, elle s’en était torturé l’esprit à en devenir folle. Et maintenant que sa sœur se trouvait juste là, devant elle, à parler de tout et de rien avec une innocence déconcertante, Kate était incapable d’émettre le moindre son. A tel point que cela en devenait quasiment risible.

Cependant, a nouveau, le discours de Laurent commença à l’agacer. Elle pouvait comprendre les sentiments qu’il éprouvait à l’égard d’Irina, mais pas la façon dont il formulait ses phrases, sinueusement, comme le serpent s’infiltrant dans le jardin d’Eden. Elle plissa des yeux à son intention, à deux doigts de le faire passer par la fenêtre. Mais, au lieu de divertir tout le clan, elle posa simplement sa main sur celle de Garrett, renonçant à une violence dont elle frôlait le besoin. Finalement, elle se racla la gorge : « Le plus important, c’est que nous soyons à nouveau réunies. » Elle parlait d’elle, de Tanya et d’Irina dans un premier temps, car les liens du trio avaient toujours été très forts, plus que n’importe quels autres. Elle apprendrait à connaitre le reste du clan par la suite. Elle l’avait déjà fait après tout. Et nulles doutes sur le fait qu’Irina apprécierait Eleazar et Carmen comme avant. Pour Garrett non plus, le doute n’était pas permis. Après tout, il était merveilleux et elle s’en rendrait très vite compte. Elle offrit donc un léger sourire à sa sœur fraîchement retrouvée avant de répondre à Garrett ; « Ça ne serait pas une mauvaise idée. Mais peut-être qu’il faudrait y aller progressivement. » Elle évoquait surtout des pupilles d’Irina et de Laurent, qui parlaient pour eux. Elle ne voulait forcer personne à adopter son mode de vie.